LE PETIT NICOIS

Alexandre Arcady : « Notre société est malade ! »

Le réalisateur de « L’Union Sacrée » ou du « Coup de Sirocco » voire plus près de nous de « Ce que le jour doit à la nuit », Alexandre Arcady était au Pathé Masséna à Nice pour présenter « 24 Jours », son dernier film sur l’affaire Ilan Halimi.


Il sera de retour dans la cité azuréenne en mai pour une soirée privée organisée par la Ville de Nice. En attendant, il nous a livré ses impressions sur ce film fort et parfois particulièrement dérangeant…


L.P.N. : Pourquoi adapter le livre de Ruth, la mère d’Ilan Halimi ?


Alexandre Arcady : Je suis toujours à l’écoute de l’actualité. Tous mes films reflètent cette réalité. Je ne voulais pas faire un film sur le gang des barbares mais un témoignage du martyr subi par Ilan Halimi, une manière pour moi de faire prendre conscience à la société de ce mal intégral qu’est l’antisémitisme. Ilan Halimi est le premier juif tué en France depuis la Shoah…


Le livre, témoignage de sa mère, a été le catalyseur de mon envie d’en faire un film. L’une de ses phrases m’a hanté : « Je voudrais que la mort d’Ilan serve à donner l’alerte ». Je voulais être du côté des victimes, pas des bourreaux…, de cette bande de décervelés que les médias ont appelé le gang des barbares.


L.P.N. : Malgré que l’on connaisse l’histoire, on a envie de croire qu’Ilan va s’en sortir…


A.A. : On passe par tous les sentiments : l’espérance, l’angoisse, la joie, la colère, la haine… et le deuil. Tout est vrai dans le film comme les 650 appels téléphoniques de Fofana et les demandes irrationnelles de rançon avec des montants qui évoluent sans cesse. Les menaces aussi sont toutes bien authentiques. Même le raté incroyable de son arrestation dans le cyber-café est bien vrai. Nous nous sommes appuyés sur les rapports de police.


On a pu tourner au 36 Quai des Orfèvres, là où le drame s’est noué. C’était important pour moi d’être sur les lieux mêmes où la tragédie s’est jouée. Malgré plus de 400 fonctionnaires, des erreurs ont été commises par les forces de l’ordre comme par la justice. Personne n’a pris conscience qu’il s’agissait de petites frappes de banlieue…


L.P.N. : Pensez-vous que le contexte de l’époque, fille du RER, émeutes dans les banlieues, ait pu influencer les enquêteurs ?


A.A. : Bien sûr ! La police en France n’a pas la culture de l’enlèvement comme en Italie ou au Mexique. Il fallait être prudent, ne pas commettre la même précipitation qu’avec la fille du RER et surtout, de ne pas remettre le feu aux banlieues… Ruth Halimi le dit dans son livre : « Dans une enquête policière, il y a toujours un facteur chance, Ilan, lui n’en a eu aucune ». Dès que les ravisseurs parlent d’un juif qui a été kidnappé, la mère comprend que son fils sera tué. La police n’y croit pas, c’est là son erreur la plus grave. Pour ces barbares, Ilan n’est pas un être humain…


L.P.N. : Pensez-vous que certains ont une responsabilité comme Dieudonné dans l’évolution des banlieues ?


A.A. : On vit une période très malsaine. Ce pseudo-humoriste est devenu un chantre de l’ignoble, du racisme et de l’antisémitisme. Rien n’est innocent. Si l’on en est arrivé là, c’est parce qu’il y a eu une désinformation totale, il y a quelques années, sur les événements au Moyen-Orient.


Les juifs en banlieue ont été assimilés à des tueurs d’enfants palestiniens. C’est effrayant de se dire qu’Ilan a été enfermé dans une cave d’immeuble et que personne n’a rien vu… La loi du silence a prévalu, personne n’a compris le drame qui se nouait ou plus simplement, s’en moquer.


L.P.N. : Vous avez dédié votre film à Valérie Benguigui. Devait-elle jouer le rôle de la mère ?


 


A.A. : Elle devait le faire, effectivement. Je la savais malade mais elle voulait vraiment que ce soit son dernier film… 15 jours avant le début du tournage, elle a été hospitalisée et a dû abandonner. C’est Zabou qui a pris le rôle au pied levé, elle a été formidable. Elle est l’âme du film, la voie du coeur, le père étant la voie de l’esprit.


Lui, Pascal Elbé, essaie de garder le contrôle, ne pas passer de l’autre côté du miroir, se laisser aller à la violence. Elle sait qu’elle ne verra plus son fils vivant. Elle en devient très digne à la fin, un exemple pour tous.


Photo : Alexandre Arcady

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