LE PETIT NICOIS

Fabrice Rizzoli : « Ce n’est pas la mafia qui est forte mais l’État français qui est faible ! »

La pègre n’a plus de secret pour lui. Fabrice Rizzoli, docteur en science politique et représentant de Flare, réseau européen de la société civile contre le crime organisé transnational, est aujourd’hui l’un des plus grands experts en la matière. Du Mexique en passant par l’Italie, le monde entier s’arrache ses conseils avisés.


Le Petit Niçois : Quelle est votre propre définition du mot mafia ?


Fabrice Rizzoli : La mafia est une entité politique qui exerce une souveraineté sur un territoire. S’adaptant aux changements socio-économiques, elle structure et perpétue à partir de cette « seigneurie territoriale » un système fondé sur une violence systémique qui lui permet de contrôler le territoire. La mafia gère un réseau vaste et ramifié de complicités au point de former un corps social : la bourgeoisie mafieuse. Elle anime un code culturel enraciné mais souple et jouit d’un relatif consensus social de la part de la population.


L.P.N. : Avez-vous été surpris en apprenant l’arrestation, la semaine dernière, de camorristes à Nice et d’un membre de la ‘Ndrangheta à Menton ?


F.R. : Non. Tous les ans, des chefs mafieux sont arrêtés en France et en particulier sur la Côte d’Azur, lieu d’implantation historique des mafias italiennes. Si la France accepte de livrer les mafieux italiens, en revanche, que fait-elle contre le blanchiment ?


Pour mémoire, il aura fallu attendre 10 ans de procédure avant que la justice italienne ne puisse saisir la villa au Cap d’Antibes ( voir ci-contre ) du trafiquant de drogue, Biagio Crisafulli ! Ce puissant soldat de la mafia sicilienne avait été arrêté à Nice en 1995.


L.P.N. : Qu’est devenu ce bien immobilier ?


F.R. : Je m’y suis rendu l’été dernier pour le voir de mes propres yeux. La maison a été revendue. La question que je me pose est donc la suivante : pourquoi aucun journaliste n’a daigné faire un papier sur cette villa qui aurait pu devenir un centre contre la corruption ?


L.P.N. : Quelle solution préconisez-vous ?


F.R. : En France, il manque une loi sur les biens confisqués au crime organisé, comme en Italie. Il serait judicieux de mettre en place une confiscation sans condamnation pénale du propriétaire, comme l’Europe le demande. En Italie, on ne fait pas semblant de lutter contre les mafias ! En témoigne que le fait que la maison à Corleone en Sicile de l’ex-chef suprême de Cosa Nostra, Toto Riina, a été transformée en… lycée agricole. La redistribution à des fins sociales des biens confisqués fait de l’Italie un pays modèle en matière de lutte.


L.P.N. : Les mafias ont-t-elles, à votre avis, investi dans des activités légales du Sud de la France ?


F.R. : Oui, le blanchiment y est important. Malgré tout, il y a très peu d’enquêtes. La PJ a même avoué son impuissance face à cette problématique. Le blanchiment est une infraction difficile à démontrer car il faut à la fois rechercher un critère de compétence et démontrer le lien entre un flux financier et la commission d’une infraction ayant généré un profit. Cette caractéristique du droit pénal français explique le faible taux de poursuites et de condamnations pour des affaires de blanchiment. En somme, ce n’est pas la mafia qui est forte mais l’Etat français qui est faible !


L.P.N. : La présence du crime organisé italien dans le Sud de la France est-elle-due, en partie, à l’ouverture des frontières ?


F.R. : Le mafieux se moque des frontières. Il est transnational. Avec ou sans frontière, le mafieux circule mais revient toujours à son territoire d’origine : l’Italie. En revanche, le capitalisme numérique sied bien au mafieux qui fait tourner ses capitaux sales dans le monde entier et ce, sans aucun contrôle.


L.P.N. : Quelle est la différence entre les clichés gravitant autour des mafias italiennes et la réalité ?


F.R. : La vulgarisation médiatique du mot « mafia » empêche de plus en plus l’approche scientifique d’un phénomène recouvrant des réalités très hétérogènes. En témoigne le fait que certains médias n’hésitent pas à taxer de « mafia de la poste » deux facteurs accusés de dérober du courrier. Or, si tout est « mafia », plus rien n’est « mafia » !


En termes clairs, le phénomène mafieux est trop souvent l’objet de stéréotypes. Avant la mafia était soit disant en compétition pour l’honneur. Il est communément admis qu’elle ne tuait pas d’enfants. De nos jours, la mafia serait en compétition pour l’argent. C’est le mythe de la bonne et ancienne mafia.


Ce qui, à mon sens, est totalement faux ! La pieuvre a toujours tué des enfants, des prêtres et des femmes... Il faut donc s’en détacher. Tous ces stéréotypes sont excellemment bien dénoncés dans un ouvrage majeur d’Umberto Santino, dont je vous recommande la lecture.


L.P.N. : Les mafias italiennes sont-elles véritablement dangereuses en comparaison de leurs homologues russes, tchétchènes ou albanais ?


F.R. : Les mafias italiennes sont dangereuses du fait qu’on ne lutte pas assez bien contre leur infiltration dans l’économie légale. La bonne nouvelle, c’est que celles-ci sont les mieux étudiées du fait que l’Italie est une vraie démocratie. Seules les démocraties peuvent lutter contre la mafia !


L.P.N. : A quoi attribuez-vous le fait que les journalistes usent et abusent du raccourci journalistique « arrestation du dernier parrain » chaque fois qu’un mafieux est écroué ?


F.R. : Les journalistes français ne connaissent rien à la mafia ! Ils ne lisent pas leurs sources en italien. Ils choisissent la facilité en se fiant à des articles écrits en français par des confrères souvent peu expérimentés sur le sujet. Voilà tout !


L.P.N. : Cela expliquerait pourquoi les médias feignent de redouter une infiltration mafieuse alors qu’il est avéré que les premières traces de celle-ci en France remontent… dans les années 80 ?


F.R. : Cela montre surtout que le journalisme d’investigation est mort ! Aujourd’hui en France, il est bien plus facile d’écrire un article sur une simple arrestation que d’enquêter sur des intérêts financiers. Il y a bien Médiapart.


Or, les journalistes qui en font partie se foutent pas mal des mafias… Par exemple, quand Nice-Matin a sorti l’affaire de frères Pellegrino à Menton, j’ai aussitôt fait venir des journalistes de France 2 pour jouer à Confiscopolis dans les rues de Menton. Alors qu’on découvre que le terrassement de sept immeubles dont celui de la gendarmerie et de la maison de la justice a été opéré par la mafia calabraise, personne n’a daigné creuser cette affaire !


L.P.N. : Vous êtes l’auteur de l’ouvrage « Le Petit dictionnaire énervé de la Mafia ». Quelle est sa valeur ajoutée ?


F.R. : Il s’agit d’un abécédaire à la fois petit, pédagogique, scientifique mais humoristique. Il comporte 152 définitions mafieuses. Ainsi, il va de « A » comme « accumulation du capital » à « Z » comme « Zoomafia ». Il s’adresse essentiellement à celui ou celle qui veut comprendre la mafia en seulement 150 mots.


Pour en savoir plus sur l’actualité mafieuse à travers le globe, rendez-vous sur le site de Fabrice Rizzoli : www.mafias.fr

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