37 Ans tout juste, à quelques jours près, après ce que les médias ont appelé « Le casse du siècle » - à la Société Génrale de Nice - qui a valu à Albert Spaggiari une gloire qu’il a toujours tout fait pour cultiver, c’est à nouveau notre département qui va pouvoir, avec honte ou fierté, selon les opinions, s’attribuer la localisation du braquage du siècle. Lorsque nous avions décidé de consacrer notre rubrique « Figure de légende » au mythique chef de bande, l’incroyable vol de bijoux au Carlton de Cannes n’avait pas eu lieu. L’actualité nous a rattrapés et incités à rapprocher Spaggiari de ce nouvel Arsène Lupin.

« Tant pis. On laisse tomber les gars », lance Albert Spaggiari à son équipe d’une quinzaine d’hommes. « Il faut sortir maintenant si on ne veut pas être serrés ».
En cette nuit du 18 au 19 juillet 1976, alors que la France connaît une canicule exceptionnelle, la pluie tombe et entraîne une montée de l’eau dans les égouts qui devient susceptible de bloquer le « gang des égoutiers » dans son repli. Albert Spaggiari qui ne veut pas prendre de risque inutile, sonne alors sagement la retraite en ce dimanche. Il est 2 heures du matin et de nombreux aller-retour sont encore nécessaires pour remonter le butin à la surface avant le lever du jour.
Lui et ses hommes ont de l’eau jusqu’au cou lorsqu’ils quittent la banque avec leurs sacs remplis d’or et de billets. Avec difficulté, ils parviennent à remonter les 8m de tunnel qu’ils ont creusés (lire encadré) et rejoignent le réseau des égoûts par où ils sont arrivés. Il leur faut encore trois heures pour parcourir les 3 km de galeries souterraines et gagner enfin la berge de la partie couverte de la rivière Paillon où se trouve l’entrée des égoûts.
Spaggiari est heureux et amer. Heureux du succès de l’opération mais amer que la pluie soit venue contrarier leur « travail ». Il espérait pouvoir percer davantage de coffres forts. Le gang en videra quand même 371 sur les 4000 que contient la succursale de la Société générale de l’avenue Jean-Médecin à Nice.
Le butin est considérable : 50 millions de francs, soit près de 30 millions d’euros. Les braqueurs, qui sont repartis à bord de Land Rover, se le partageront quelques heures plus tard dans une villa de l’arrière pays niçois. Avant de quitter la banque, la bande a pris soin d’effacer toute empreinte. Sur un mur, Spaggiari a écrit « Ni armes, ni violence et sans haine ». Un message pour le moins insolite et peu en rapport avec les pratiques des voyous du milieu traditionnel. Lorsque la banque ouvre en ce lundi 19 juillet au matin, c’est la stupéfaction.
La nouvelle se répand dans toute la ville comme une traînée de poudre. On parle de casse du siècle. De Paris et de toute l’Europe, les journalistes déferlent à Nice. Dans un premier temps, l’enquête piétine. Si la police est convaincue qu’il s’agit du travail de professionnels, d’un groupe structuré et bien préparé, elle ne dispose d’aucune piste.
L’ombre du milieu marseillais
La police recoupe le casse avec les informations d’un indic annonçant qu’une équipe s’apprêtait à faire un gros coup sur la région. Quelques semaines avant le casse, la gendarmerie de Plan-du-Var a effectivement appréhendé, sur les informations de cet indic, plusieurs individus suspects qui attendaient devant l’entrée d’une villa à Castagniers. Mais, faute d’éléments, elle n’a pu procéder à aucune interpellation.
Parmi ces personnages, il y a Gérad Vigier et Daniel Michelucci, deux bandits du milieu marseillais, déjà « bien connus » des services de police. Quelques mois avant le casse, la police avait déjà, par hasard, contrôlé les deux hommes alors qu’ils chargeaient un grand nombre de burins dans le coffre d’une voiture. Avec le recul, ils se disent que c’est certainement ce matériel qui a servi à percer le tunnel.
La police décide alors de perquisitionner la villa de Castagniers. La pêche sera fructueuse puisqu’elle met la main sur des armes et des bottes portant de la terre qui, analysée, s’avérera être la même que celle qui se trouve dans les égouts. Le quartier général de Spaggiari et de ses complices pendant les « travaux » vient d’être mis au jour. Un peu plus tard, la police arrête Francis Pellegrin et Alain Bournat alors qu’ils viennent de tenter de négocier à l’agence du Crédit agricole de Roquefort-les-Pins des lingots numérotés provenant du casse.
Les deux malfrats avouent rapidement et dénoncent Albert Spaggiari comme étant le cerveau de l’opération. La police a du mal à les croire. Elle imagine mal que ce dernier, inconnu de leurs services, ait la carrure pour diriger une bande de voyous rompus au crime et fichés au grand banditisme. On dira même que Zampa était derrière et tirait les ficelles. Spaggiari, lui, est loin de Nice. Bien loin de la baie des Anges. Quelques jours après le casse, il s’est mis au vert aux Etats-Unis. Mais, en mal de reconnaissance et animé par une grande envie de faire parler de lui, il commet une surprenante imprudence.
À Washington, il propose ses services à la CIA pour, par exemple, forcer des ambassades, en n’hésitant pas à se présenter comme le cerveau du « casse du siècle » de Nice, sous le surnom de « Bert ». La CIA alerte aussitôt la police française. Spaggirai rentre finalement a Nice où il est loin de se douter que plusieurs de ses complices ont été appréhendés. Il reprend alors ses activités de photographe et participe à un voyage au Japon organisé par Jacques-Médecin alors maire de Nice. Il connaît pas mal d’élus locaux car il fait les photos de nombreux mariages.
A son retour, le 27 octobre 1976, il est arrêté dès sa descente d’avion à l’aéroport de Nice. Il est aussitôt inculpé et écroué. La police perquisitionne la bergerie de Bézaudunles- Alpes où il vit avec sa femme. Sous un tas de fumier, elle y trouve plusieurs armes de guerre (fusil mitrailleur, grenades, armes de poing...). Si, dans un premier temps, Spaggiari nie les faits, il finit par les reconnaître, non sans avoir insisté pour les avouer uniquement en présence d’ Honoré Gévaudan, l’un des plus grands « flics » de France.
Encore une fois, il montre là qu’il a besoin de flatter son égo démesuré. Durant l’instruction, il déclare au juge que la finalité du casse était de financer une organisation politique secrète d’extrême-droite italienne qu’il voulait créer, la Catena (« Chaîne » en italien) et dont le but était de contrer les attaques de l’extrême-gauche italienne de l’époque.
Il est vrai qu’il a fréquenté les milieux nationalistes et a été, sinon membre,du moins très proche de l’OAS (Organisation armée secrète) qui s’oppose à l’indépendance de l’Algérie. Selon lui, il a été chargé, en 1962, d’abattre le général de Gaulle alors président de la République. Mais un contre ordre est venu annuler ce dessein. Le 27 février de la même année, il est arrêté à Villefranche-sur-Mer, dans une imprimerie clandestine qui imprime des tracts pour l’OAS. Il est incarcéré aux Baumettes d’où il ressort en 1965. C’est à cette époque qu’il s’installe à Bézaudan-les-Alpes, dans l’arrière-pays niçois. En 1968, il ouvre un magasin de photo à Nice dans le quartier Ferber.
Une évasion spectaculaire
Albert Spaggiari, qui est incarcéré depuis 5 mois à la prison de Nice, attend son procès. Robert Desroches et Michel Brusot, ses amis d’Indochine avec qui il a conclu un pacte « à la vie à la mort » décident de le faire évader. Desroches lui envoie un croquis sur lequel on voit un homme sauter par une fenêtre en se tenant à une gouttière. Spaggiari comprend que c’est lors d’une audition au tribunal, dans le bureau du juge d’instruction Richard Bouazis, qu’il devra se faire la belle par la fenêtre.
Le 10 mars 1977, le plan est mis à exécution. À 15 heures, Spaggiari, qui est accompagné de son avocat Jacques Peyrat (futur maire de Nice) demande au juge de faire sortir du bureau son escorte, sous prétexte de révélations à faire concernant des individus haut placés de la politique locale. Le juge s’exécute. Albert Spaggiari, lui fournit alors trois schémas représentant un plan d’accès au tunnel des coffres. Le juge les examine mais semble ne pas comprendre les croquis. Spaggiari se lève en prétextant vouloir lui expliquer plus en détail les documents qu’il vient de lui remettre. Il s’approche de la fenêtre, l’ouvre et saute aussi sec sept mètres plus bas. Il tombe sur le toit d’une voiture garée le long du trottoir et s’échappe grâce à un complice qui l’attend à moto.
Le motard le transporte jusqu’au parking souterrain de la place Masséna où il se cache alors dans le coffre d’une voiture qui l’emmène sur le champ dans une planque située près du port de Nice. Il restera plusieurs jours dans cet appartement du quartier et du Parc Vigier. Quelques jours plus tard, il envoie au propriétaire de la Renault 6, sur laquelle il s’est réceptionné et dont le toît est complètement enfoncé, un mandat de 3 000 francs au nom d’Albert Mandrino, en guise de remboursement.
Une cavale médiatisée
Albert Spaggiri va passer douze ans de sa vie en cavale. Une période durant laquelle il voyagera beaucoup, le plus souvent grimé, et sous la fausse identité de Romain Clément. Il séjourne en Amérique du Sud, au Brésil puis en Argentine où il acquiert une grande propriété . Traqué et craignant d’être retrouvé, il subit une opération de chirurgie esthétique par Ivo Pitanguy en Argentine. Il se cachera aussi au Chili, en Espagne et dans le nord de l’Italie.
Mais il a le mal du pays. Alors, il rentre régulièrement en France. En 1978, il écrit un livre : « Les égouts du paradis » depuis sa cachette en Argentine. Il se remarie avec une Italienne qui lui trouve une planque à Puteaux, près de Paris. Il se cache mais cherche toujours à faire parler de lui. Il adresse régulièrement des photos de lui à la presse. On le voit ainsi dans les pages de grands journaux déguisé en Père Noël ou se faisant bronzer sur une plage du bout du monde.
En 1983, depuis Madrid, il ose donner une interview filmée où il livre tous les détails du casse de Nice. Pour le lancement de son deuxième livre « Le Journal d’une truffe », il se fait interviewer par Bernard Pivot pour son émission Apostrophes. La diffusion de ce programme fait scandale. La justice et la police supportent très mal d’être ainsi ridiculisées, elles qui sont toujours à ses trousses.
De la Légion à la mort
Albert Spaggiari est né en 1932 à Laragne- Montéglin, dans les Hautes-Alpes. Son père meurt lorsqu’il a trois ans. Sa mère, qui tient un magasin de lingerie à Hyères, refait sa vie. Idéaliste dès son plus jeune âge, à 16 ans il fugue pour aller en Sicile afin d’y rencontrer Salvatore Giuliano, un bandit indépendantiste qui était souvent comparré à Robin des Bois, c’est à dire qu’il volait les riches pour donner aux pauvres. A 17 ans, toujours en quête de sensation, il s’engage chez les parachutistes. Affecté au 3e Bataillon de parachutistes coloniaux, il part combattre en Indochine.
Il sera blessé deux fois avant d’être décoré. C’est en Indochine qu’il va débuter sa « carrière » de braqueur. C’est là qu’il va rencontrer Robert Desroches et Michel Brusot, ses copains qui l’aideront à s’évader quelques années plus tard à Nice. Le 31 janvier, avec un complice, il se fait remettre la caisse du Milk bar, un bordel d’Hanoï, dont les tenanciers se seraient, selon lui, « mal comportés avec les parachutistes ». Il sera reconnu et arrêté. Le 17 août 1954, il est condamné à 5 ans de travaux forcés et 20 ans d’interdiction de séjour en Indochine. Il rentre alors en France où il finit de purger sa peine à la prison des Baumettes.
En 1957, il est enfin libéré et s’installe à Hyères où il rencontre Audi, une infirmière qui deviendra sa femme le 27 janvier 1959. Albert trouve alors un travail à la société Fichet-Bauche, un fabricant de... coffres-forts. Le 23 octobre 1979, Spaggiari, toujours en cavale pour le casse de Nice, est condamné par contumace à la prison à perpétuité. Cinq de ses complices sont jugés au procès et condamnés à huit ans de prison.
Il s’agit de Pellegrin, Bournat, Poggi, Michelucci et Vigier, tous du milieu marseillais. On pense aujourd’hui que les individus les plus impliqués étaient Michelucci et Vigier. Poggi aurait fait le lien avec le milieu marseillais et le duo Pellegrin / Bournat aurait eu des rôles subalternes de guetteurs. Plusieurs membres de l’équipe n’ont jamais été retrouvés. C’est en lisant le livre « Tous à l’égoût » de Robert Pollock, roman qui met en scène le cambriolage d’une banque par les égoûts, que Spaggiari à l’idée de procéder de la même façon.
Un ami conseiller municipal et employé à la Société Générale lui apprend que la salle des coffres de l’agence Jean-Médecin n’a pas de système d’alarme. Deux ans avant le casse, pour évaluer la faisabilité de son projet, il loue un coffre à la Société générale dans lequel il place un réveil, qu’il règle pour sonner la nuit. Le but de la manoeuvre vise à s’assurer de l’absence de systèmes de détection (sismique ou acoustique) à l’intérieur de la salle des coffres. Le 8 juin 1989, Albert Spaggiari meurt d’un cancer à Belluno en Italie. Sa femme le ramène en France et dépose son corps chez sa mère à Hyères. Il fera, une dernière fois, la Une des journaux, lui qui avait toujours été en quête de reconnaissance.
Remous politiques
Des journaux, surtout de gauche ont avancé que Spaggiari avait bénéficié d’aide parmi ses amis politiques, et en particulier de la part de l’ancien militant de l’OAS et maire de Nice, Jacques Médecin. Ces accusations compliquèrent la tâche de Médecin au second tour des élections municipales de 1977. Il sera néamoins réelu avec 50,33 % des voix. Mais, en septembre 90, il démissionnera de tous ses mandats pour émigrer en Uruguay, à Punta del Este. Une migration que beaucoup n’hésitèrent pas à considérer comme une fuite. Pour ne pas dire une fuite... des capitaux !
Photo : Le Paillon passe sous le palais des expositions. C’est par cet endroit que Spaggiari et ses complices rejoignirent les égoûts de la ville. Albert Spaggiari. ©DR
Photo à droite : Albert Spaggiari et Jacques peyrat, son avocat. ©DR