Depuis 10 ans, le Conseil général des Alpes-Maritimes organise les « voyages de la mémoire », au cours desquels des élèves de 3e de tout le département se rendent à Auschwitz pour visiter les camps de la mort nazis. Une manière de faire découvrir aux collégiens la réalité de ce qu’ils étudient en cours, pour en faire des ambassadeurs de paix et de tolérance.
Il est 9 heures. Le vol Air Méditerranée spécialement affrété par le Conseil général des Alpes-Maritimes se pose sur l’aéroport de Cracovie. Une délégation de 214 azuréens sort de l’appareil. Des classes de collégiens qui effectuent un « voyage de la mémoire ». Cette initiative lancée en 2003 par Christian Estrosi, alors président du Conseil général, et perpétuée par son successeur Éric Ciotti, a permis à plus de 7000 adolescents et 3000 élus, invités et accompagnateurs de découvrir l’horreur des camps nazis.
Quelques cernes sous les yeux, les élèves de 3e embarquent à bord de l’autobus. Un convoi de 6 véhicules prend la direction d’Oswiecim, tristement célèbre sous son nom allemand : Auschwitz. © Mathieu Mougeolle
Durant les trente minutes de trajet, un guide résume l’histoire de la Pologne, plusieurs fois rayée de la carte au fil des occupations successives. Quand il évoque la Seconde Guerre mondiale, un silence religieux s’empare du car. Les élèves ont déjà appris beaucoup auprès de leurs professeurs sur cette période sombre de l’histoire.
Les cendres de Birkenau
« Sur la gauche, à environ 400 m, là où vous voyez un wagon, c’est la « Judenramp » ou « rampe des juifs », où les Allemands faisaient la sélection entre les déportés aptes au travail et ceux emmenés directement à la chambre à gaz pour être tués ». L’entrée du camp de Birkenau se dresse, sinistre, au milieu d’un champ glacé entouré de barbelés. Quelques cabanes de bois subsistent, ainsi que des cheminées en brique, perdues sans le bâtiment qui allait autour. Notre guide résume les origines du camp Auschwitz II avant de nous mener vers les quelques baraquements toujours debout.
Des bâtisses certes reconstituées, mais qui laissent parler l’imagination. Entassés dans des conditions d’hygiène déplorables, nombre de détenus dormaient à même le sol, grouillant dans la vermine. Nourris d’une maigre ration quotidienne (1 500 cal/j), ils devaient travailler des journées entières. « Il s’agit bien d’une technique d’extermination », précise la guide. « Les nazis avaient calculé qu’une personne normalement constituée ne pouvait pas survivre plus de trois mois à ce régime ».
On aborde alors le coeur du sujet : l’activité exterminatrice à laquelle le camp de Birkenau était affecté. Entre les barbelés et les miradors, nous remontons le long des rails où un unique wagon trône. « Je savais qu’on y entassait une cinquantaine de déportés, mais je n’imaginais pas qu’ils étaient si petits », songe Sami, un élève de 3e du collège Vernier. Ceux qui ont survécu au voyage subissent la terrible sélection des médecins SS.
Les femmes, les enfants et les hommes jugés inaptes au travail sont emmenés directement vers les chambres à gaz. Le jeune Théo est stupéfait : « En 5 secondes, ils scellaient le destin de tous ces gens ». Idem en s’approchant du fond du camp, où se dressaient les complexes chambre à gaz/crématorium détruits par les nazis dans leur fuite.
Pendant que notre guide nous décrit le processus en n’épargnant aucun détail, les gorges se nouent. Le travail des Sonderkommando, ces juifs chargés de transporter les corps pour les réduire en cendres dans les fours crématoires, suscite de nombreuses questions parmi les collégiens. Derrière les ruines, quatre stèles noires marquent l’emplacement de l’étang où l’on déversait les cendres des victimes. Trois autres ruines similaires complètent le site, avec à chaque fois les mêmes stèles funèbres.
Le sourire des disparus
En face du camp « Kanada », où les Allemands entreposaient les biens confisqués aux déportés, nous pénétrons dans le bâtiment sanitaire, surnommé « Sauna », où les détenus étaient autorisés à se laver une fois tous les trois mois. C’est là, également, que l’on désinfectait leurs vêtements entre de lourdes portes de métal.
De nombreux collégiens s’interrogent : « C’étaient des fours crématoires, ça ? ». Après la salle des douches, une dernière pièce rassemble des milliers de photos souvenirs retrouvées dans les affaires des déportés. Ces vestiges de temps meilleurs témoignent que derrière chaque victime se trouvait un sourire. Un moment fort, juste avant que toute la délégation ne se rassemble devant le mémorial érigé sur le site pour une petite cérémonie.
Quelques élèves lisent un texte en l’honneur des disparus, puis les représentants politiques présents déposent une gerbe de fleurs sur une plaque commémorative. « Ce qu’on a vu, ça reste virtuel », avoue Théo, « cela permet d’avoir une image, mais tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne peut pas être objectif ».
Échantillon Symbolique
Après le déjeuner, nous nous dirigeons vers Auchwitz I, le « Stammlager » ou « camp principal ». Le temps de prendre une photo de l’emblématique portail où est inscrit « Arbeit macht frei » (« le travail rend libre »), nous pénétrons dans la seule chambre à gaz d’Auschwitz que les nazis n’ont pas détruite, preuve de l’horreur de la solution finale.
Dans la salle morbide de béton nu, on voit presque les corps sans vie entassés nus les uns sur les autres, morts asphyxiés par la brûlure du Zyklon B dans un dernier cri de terreur. Dans la salle suivante, la vision des reconstitutions des fours crématoires glace le sang. Dans ces blocs de brique rouge, des portraits de prisonniers, des salles entières sont remplies d’objets retrouvés au Kanada. Derrière les vitrines : des tonnes de paires de chaussures ; des milliers de brosses ; toutes sortes de prothèses ; des valises qui portent le nom et parfois l’âge de leur propriétaire.
Avant de rentrer dans la salle suivante, la guide prévient : « Ici, par respect, il est interdit de prendre des photos ». Sous les yeux interdits des collégiens, une masse informe, écrasante, étouffante de cheveux humains. Deux tonnes de chevelure que les SS revendaient à l’industrie textile. La pièce en est remplie, et pourtant, « ce n’est qu’un échantillon symbolique ».
Exposées à l’écart, des petites tresses d’enfants brisent le coeur. « C’est dommage qu’on ne puisse pas prendre de photos pour garder une trace », regrette Théo, avant de se raviser : « Enfin, c’est normal, parce que cela fait vraiment partie de chacun d’eux ». C’est la séquence qui a le plus marqué la majorité des ados. Mais il reste encore à visiter le sordide Bloc 11, « la prison des prisonniers ».
Au sous-sol, des cellules étroites où les détenus subissaient les pires tortures physiques et psychologiques. En sortant du bloc, la reconstitution du « mur de la mort » conclut la visite. Tant de prisonniers politiques y ont été fusillés, nus face contre le béton, dos à la mort...
« Le devoir de nous souvenir »
Les élèves du collège Vernier ont été marqués par l’expérience d’Auschwitz. « On n’a pas appris grand chose qu’on ne savait déjà, mais ça permet de mieux comprendre ce qu’on a étudié en cours », résume Sami. Chacun a, selon sa sensibilité, vécu un choc différent. Pour Cristiano, ce sont surtout les photos d’enfants, « Tellement maigres ». Julie, elle, ne réalisait pas à quel point les SS maltraitaient les détenus. « Il ne s’agissait pas seulement d’enfermer ou d’exterminer des gens, mais véritablement de les faire souffrir », résume Théo.
Souffrance physique, mais surtout psychologique et morale : « Les gens venaient avec leurs valises, ils pensaient s’en sortir, ils lisaient « Le travail rend libre » et cela leur redonnait faussement espoir… Même avant de mourir gazés, ils pensaient prendre une douche. Ils ont vécu dans le mensonge perpétuel », déplore Théo.
Après une longue journée debout dans le froid, les élèves sont fatigués, alors imaginer les détenus dans ces conditions après une journée de travail forcé… « Ça fait relativiser sur les petites peines du quotidien » poursuit l’ado. « Je me rappelle de mémoire la citation de Primo Lévi : « Qu’ils soient condamnés à le vivre ceux qui l’oublient. » Avoir vu cela aujourd’hui nous donne le devoir de nous souvenir. Nous sommes la future génération, et nous devons pouvoir le raconter pour que cela ne se reproduise pas. »
Photo : mesure que les collégiens ont découvert les abominations perpétrées par les nazis à Auschwitz, leurs
visages sont devenus de plus en plus graves.










