LE PETIT NICOIS

Picasso Administration c/ Epoux Le Guennec : Un procès sous haute-tension

Le procès s’ouvre. Silence dans la salle F. Après avoir rappelé que les époux Le Guennec comparaissent pour recel de biens, à savoir, des oeuvres originales de Pablo Picasso, le président Bruyère lance le visionnage des 271 oeuvres objets de la discorde. Des dessins au crayon gris, des lithographies, des collages cubistes, où la pâte du maître, incontestable, fine et précise, émerveille l’oeil. Un silence, avant la tempête.

Pendant trois quart d’heure l’écran géant, posté derrière le procureur Robert, donne à voir des croquis de femmes, assises, nues, de profil, des chevaux se cabrant, un arlequin tenant une guitare, trois quart d’heure pendant lesquels la salle fait silence. Sur le banc des prévenus, les époux Le Guennec trônent côte à côte.

Lui, cheveux blancs, regard fatigué, est vêtu d’un jean et d’un blouson noir ; elle, la permanente impeccable et les ongles bien vernis porte son manteau fourré au col et aux manches. Ils sont installés devant leur batterie de six avocats dont Charles-Etienne Gudin (voir ci-contre). En face, la partie civile, et notamment Claude Picasso et sa demi-soeur Maya (les autres héritiers, étant représentés).

Le fils du peintre, administrateur de la Fondation Picasso, est très chic dans son complet gris, a l’air digne et confiant, tout comme les quatre avocats qui les assistent, dont Jean-Jacques Neuer (voir ci-contre).

C’est Pierre Le Guennec qui se présente le premier à la barre. Il soutient péniblement sa version initiale, à savoir « C’est Madame (Jacqueline Picasso, ndlr) qui m’a fait appeler un soir après le travail et m’a donné ce carton. J’ai dit merci Madame ». Il n’aurait que vaguement regardé son contenu avant de « ranger la boîte sur une étagère du garage ».

L’électricien hésite

Longuement questionné sur la date à laquelle cette « boîte » lui aurait été remise, il indique « c’était quand les huissiers sont venus voir si Madame ne séquestrait pas Monsieur. En 1971 ou 1972 ». Il n’est pas sûr.

Il n’est pas sûr non plus d’avoir été introduit auprès des Picasso par le mari de sa cousine, Maurice Bresnu dit « nouours ». Il n’est pas sûr non plus d’avoir su à quel point le peintre était célèbre à l’époque, et bien coté sur le marché de l’art, alors que, souligne le président Bruyère « votre beau-frère (aujourd’hui décédé) tenait une galerie à Cannes ». L’homme est hésitant, il s’interrompt pour prendre un médicament.

En partie Civile, Maître Neuer s’agace et harcèle le prévenu de questions, concluant à l’existence d’une « affaire de blanchiment international d’oeuvres d’art », avec Pierre Le Guennec dans le rôle du passeur. La salle s’anime, la défense s’offusque. Les témoins défilent : tantôt « le maître était d’une grande générosité et aurait très bien pu être à l’origine de ce don », tantôt « donner autant d’oeuvres, sans date ni signature, est inimaginable de la part de Picasso ». Donc, tantôt les Le Guennec sont des victimes, tantôt ils sont des menteurs.

Victimes ou menteurs

Mais alors, qui est propriétaire de ces 271 pièces aujourd’hui conservées dans un lieu sécurisé ? Les époux Le Guennec ? Eux qui ont toujours vécu modestement, eux qui ont attendu 40 ans pour sortir ce trésor de leur placard ? Pourquoi si tard ? Ont-ils réellement oublié l’existence de ces oeuvres ? Pourquoi ne pas les avoir vendues sous le manteau comme le cousin « nounours » l’avait fait avant eux ? Ces oeuvres appartiennent-elles aux héritiers du père de Guernica ? Parce qu’on les lui aurait volées. Mais quand ? Qui ? Maurice Bresnu ? Les époux Le Guennec se sont-ils servis de leur proximité avec la famille Picasso pour mieux l’arnaquer ? Voilà la difficulté de ce procès électrique où chaque partie a gros à perdre, ou gros à gagner. A qui profiteront ces 271 oeuvres ? Le jugement a été mis en délibéré.

Les époux Le Guennec encourent 5 ans de prison et 375 000 euros d’amende.

Photo : Pendant 40 ans, les époux Le Guennec ont conservé dans leur garage, une « boîte » contenant 271 oeuvres du maître Picasso. ©LPN

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