LE PETIT NICOIS

Irina Brook « Tout le monde doit être fascinant ! »

Le Théâtre National de Nice (TNN) vient d’annoncer le contenu de la première saison « made in Irina Brook » qui a permis de découvrir une femme généreuse, atypique et artiste jusqu’au bout des ongles.

C’est la première fois qu’une femme prend la tête du TNN et tout le monde semble se féliciter de ce choix. La fille de Peter Brook ne pratique pas la langue de bois, elle est nature, simple, vraie, audacieuse, impertinente aussi à l’occasion. Chevalier des Arts & des Lettres en 2002, Irina Brook a créé sa propre compagnie en 1990.

Dernièrement, elle avait donné « Plaisir d’amour » à l’Opéra de Berlin. Puis, elle a mis en scène la trilogie des îles en Italie. Une tournée était en gestation quand Nice est arrivé dans sa vie… Rencontre avec une conteuse hors pair, une artiste originale et une femme admirable.

Le Petit Niçois : Racontez-nous votre arrivée à Nice ?

Irina Brook : Je ne savais pas comment cela se passait. Je savais qu’il fallait être artiste pour être nommée à la tête d’un théâtre national. Au ministère, la ministre, Aurélie Filipetti, m’a proposé Nice. C’est Renato, mon bras droit, qui m’a convaincu de venir ici. De toute façon, je n’aurai pas postulé pour un autre théâtre que celui de Nice. C’était Nice ou rien, j’ai ma compagnie, je pouvais poursuivre les tournées.

L.P.N. : Votre sentiment après votre arrivée à Nice ?

I.B. : Quand Renato m’a fait comprendre que je pouvais marier la mise en scène avec ma compagnie et la programmation du TNN, j’ai été ravie sinon j’aurais pu être frustrée. J’ai rajouté mon « Dream Théâtre » à Nice. Le public de Nice m’avait toujours réservé un accueil exceptionnel. Je réfléchis et prend mes décisions de manière organique, très rapidement, il faut que je sente les choses, les gens, le lieu… J’ai foi en la vie. Le théâtre est une affaire de comédiens. Si je ne rencontre pas les acteurs avant, comment le fourrer dans un costume ? Nice résonne en moi…

L.P.N. : Nice ou « nice » ?

I.B. : C’est marrant ce que vous dites ! Petite, j’utilisais souvent ce mot, « nice ». On me disait : « c’est gnangnan ». Mais pour moi, une « nice personn », c’était quelqu’un de vrai, d’authentique, de bien. Je le revendiquai. Je vais écrire une thèse sur « nice ». Je ne suis pas dans la lignée parisienne, mon public, c’est celui de la Province. J’ai toujours eu un rapport particulier avec Nice.

Si je suis à Nice, je le dois aussi à Christian Estrosi. Pour moi, le maire, c’est « Monsieur Nice ». Lors de notre dernière rencontre, il a décidé de me soutenir à 100 %. Il a reconnu en moi une sincérité, une envie, un projet et pas seulement mon seul intérêt. J’avais bâti un projet pour Nice.

L.P.N. : Pourquoi cet ostracisme parisien à votre égard ?

I.B. : Mon théâtre est un peu trop « coloré » pour les élites parisiennes. Et puis, j’adore l’humour et l’émotion qui pour eux sonnent comme « comédie », « populaire » donc « vulgaire ». Pourtant, c’est la France qui a inventé le théâtre de boulevard ! Il ne faut pas faire trop rire… A l’origine, en Grèce antique, c’est les émotions qui primaient.

Quand je suis allée à la Villa Arson, j’avais peur mais l’accueil a été extraordinaire. J’ai toujours été considérée comme inclassable, un électron libre, un « ovni », combien de fois j’ai lu ou entendu ce terme à mon endroit ! Mais le public me suit !

L.P.N. : Comment expliquez-vous cet « amour » du public ?

I.B. : Je veux être fasciné par tous mes acteurs, pas seulement par les premiers rôles. Je veux sentir leurs émotions, leur sensibilité. On doit vouloir les regarder, les écouter, les comprendre. Je crois dans le théâtre de compagnie. Je rêve depuis 12 ans de faire un « globe ». Je cherche un lieu à Nice…

L.P.N. : Comment allez-vous travailler à Nice ?

I.B. : En équipe, c’est une nécessité pour moi ! Renato bien sûr mais aussi avec Hovnatan qui est un ambassadeur précieux auprès de la jeunesse notamment. Cela fait 12 ans que je travaille avec lui. Je crois en un théâtre total qui mêle le jeu à la musique, au chant, à la danse, au cirque… La voix et le corps vont ensemble. J’aimerais proposer une Académie d’été à Nice avec des master class de niveau international, offrir l’excellence pour Nice. J’ai été une actrice terrorisée, c’est le théâtre qui m’a permis de soigner ma timidité naturelle.

L.P.N. : On a l’impression que tout a été facile pour vous…

I.B. : Et c’est faux ! J’ai toujours dû pousser les portes. J’ai grandi dans un théâtre expérimental. Après, j’ai voulu devenir une star de cinéma « normale », j’ai ramé pendant 10 ans pour être cette femme rêvée…

Quand j’ai découvert le théâtre corporel de Jacques Lecoq ou Ariane Mnouchkine, j’ai su que c’était ce que je voulais faire, un théâtre du mouvement, de l’improvisation… J’ai forcé ma nature, suivi des stages, c’était terrifiant mais cela m’a aidé ensuite dans mon travail de mise en scène. Je veux donner un sentiment de liberté absolue à mes comédiens.

L.P.N. : Comment vous y prenez-vous ?

I.B. : Je ne peux pas concevoir un spectacle sans qu’il n’y ait un mur à abattre, une porte, une fenêtre. Je suis très fanatique des accessoires, je les empile dans tous les sens, j’aime les objets qui ont un vécu, je suis très « récup », y compris pour les costumes. C’est mon côté « Emmaüs ».

L.P.N. : Parlons de votre première saison, vous commencez avec « Peer Gynt », n’est pas trop audacieux ?

I.B. : J’ai confiance dans la curiosité du public niçois. « Peer Gynt », c’est une troupe de 14 acteurs. Nous avions fait 10 représentations à Salzbourg et je trouvais dommage de ne pas continuer cette aventure… avec Iggy Pop, l’une de mes idoles depuis 30 ans. On va retravailler ce « Peer Gynt » pour donner la meilleure représentation possible.

L.P.N. : Votre sentiment sur le TNN ?

I.B. : Les salles du TNN sont formidables. La petite salle a ma préférence, elle pourrait presque me faire oublier « Les Bouffes du Nord ». C’est un rêve pour seul en scène, il y a un côté shakespearien. J’aime aussi la grande salle basée sur le théâtre élisabéthain. La salle de répétitions est aussi extraordinaire. Nous avons réussi à ouvrir la terrasse sur la Promenade du Paillon, on a inventé le concept du kiosque. Si on ne peut pas ouvrir les murs, on peut ouvrir les esprits !

L.P.N. : Pourquoi un Festival Shakespeare ?

I.B. : Le monde de Shakespeare est un théâtre. J’ai grandi avec lui. La mission dans la vie : comment faire comprendre aux Français que Shakespeare vous appartient. Shakespeare, c’est le théâtre pour tous, on l’écoutait en mangeant debout. C’est l’auteur universel, accessible, un outil pédagogique qui change des vies…

L.P.N. : Des envies ?

I.B. : Je vais reprendre « La Tempête » qui avait eu un franc succès à Nice, il y a trois ans. J’ai envie aussi d’adapter Tchékhov, j’attendais Nice pour enfin le faire. Avec la merveilleuse complicité du public niçois, j’ai l’impression que je peux tout me permettre d’autant qu’avec mes costumes Emmaüs, mes spectacles sont très économiques… Nice est vraiment « nice » !

Photo : ©LPN

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