Bon sang ne saurait mentir… Jacques Audiard, le fils de Michel, est en passe d’égaler voire peut être de détrôner son illustre père, le célèbre dialoguiste, scénariste, essayiste, écrivain, réalisateur…

Il n’a pas manqué d’ailleurs de lui rendre hommage après avoir obtenu, enfin, une palme d’or qu’il aurait dû déjà avoir pour “Le Prophète” en 2009 (Grand Prix du Jury) et qu’il a décroché pour “Dheepan”, son dernier film réalisé avec des acteurs non professionnels Sri-Lankais.
« Une succession d’approches »
En 2012, il a présenté « De Rouille et d’Os », un film en partie tourné sur la Côte d’Azur. A l’époque, Jacques Audiard avait posé ses caméras à Cannes, Antibes, Nice… avec toujours la même nonchalance qui cache un perfectionnisme de tous les instants. C’est bien ce qu’ont déclaré Antonythasan Jesuthasan et Kalieaswari Srinivasan, décrivant « un réalisateur exigeant qui nous pousse à aller toujours plus loin… Il faut trouver toujours plus… La magie du réalisateur, c’est de savoir ce qu’il y a en nous. Jacques Audiard sait comment retirer tout ça de nous ».
Le réalisateur surenchérit : « Avec Antonythasan, cela n’a pas été un travail mais plutôt une succession d’approches. Je n’ai jamais compris ce que l’on voulait dire dans « direction d’acteurs ». Chaque acteur est une langue étrangère en soi ». Jacques Audiard est comme ça, il se donne totalement à ses acteurs, il est dans la fusion avec eux, c’est pour cela qu’il ne conçoit pas « une direction », puisqu’il fonctionne à l’instinct. C’est ce qui ressort de son cinéma, une animalité à fleur de peau qui est aussi une condition de survie pour ses personnages. Dans « Dheepan », il explique qu’il a opté pour un happy end « car j’ai aimé l’idée que mon personnage passe dans le désir de sa compagne ». Il ne faut pas chercher des considérations politiques dans son propos. « Je n’ai pas écrit cette histoire en pensant au drame de l’immigration. On a commencé l’écriture il y a 5 ans… Ce qui m’intéressait, c’est comment on perçoit l’autre, qui se cache derrière celui qui vous vend des roses à la terrasse d’un café et que l’on chasse. Après, si mon film peut faire réfléchir, c’est très bien ».
« Merci à Michael Haneke… »
Cette Palme d’Or, Jacques Audiard l’a attendue, barré qu’il a été par un metteur en scène autrichien qui par deux fois a obtenu la consécration. C’est pour cela qu’il a tenu dans son préambule à remercier « Michael Haneke qui n’a pas présenté de film cette année… ». Si le propos s’apparente plus à une boutade, Jacques Audiard est un homme à fleur de peau, ultrasensible. Il donne à la France sa troisième Palme d’Or en moins de 7 ans après « La Vie d’adèle » d’Abdellatif Kechiche (2013) et « Entre les murs » de Laurent Cantet (2008). Ce qui lui a sans doute le plus fait plaisir, c’est de « recevoir un prix de la part des frères Coen, c’est une chose assez exceptionnelle… Je vous dois beaucoup de choses ».
Les Coen ont avoué : « Nous avions tous de l’enthousiasme pour ce film, d’une manière ou d’une autre, nous avons tous pensé que c’était un beau film ». En 1996, il avait déjà eu un prix du meilleur scénario avec son sublime, « Un héros très discret », puis le Grand Prix du Jury en 2009 pour « Le Prophète ». Sans Isabelle Huppert, présidente du Jury et proche de Michael Haneke, il aurait déjà été sacré en lieu et place du « Ruban Blanc ».
Couvert de prix…
Au départ, Jacques Audiard aurait dû être professeur mais il abandonne ses études de Lettres pour se lancer dans le cinéma. Il débute comme monteur tout en s’essayant, dans les années 80, avec succès à l’écriture scénaristique. On retiendra des films comme « Mortelle Randonnée » avec Michel Serrault/Isabelle Adjani, « Fréquence Meurtre » avec Catherine Deneuve/ André Dussolier ou encore « Saxo » avec Roland Blanche/Gérard Lanvin. Il passe à la réalisation en 1994 avec « Regarde les hommes tomber », présenté à la Semaine Internationale de la Critique avec comme délégué général, un certain Jean Roy, critique à L’Humanité.
Son duo entre Mathieu Kassovitz et Jean-Louis Trintignant, deux hommes que tout oppose, fascine la Croisette par sa noirceur. Il lui permet de remporter le César du Meilleur premier film ainsi que le prix Georges Sadoul. Fidèle à Mathieu Kassovitz, il tourne à nouveau avec lui dans « Un héros très discret » avant d’associer Emmanuelle Devos à Vincent Cassel dans « Sur mes lèvres ». Le film fait un tabac aux César avec deux récompenses, le prix du meilleur scénario et celui de la meilleure actrice pour Emmanuelle Devos. A chaque fois, Jacques Audiard fait les bons choix. « De Battre mon coeur s’est arrêté » donne à Romain Duris, son meilleur rôle. On sent le réalisateur proche de la consécration. Ce sera « Le Prophète » en 2010 qui remporte 9 César dont celui du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario et meilleur acteur pour Tahar Rahim. Il est nominé pour le meilleur film étranger aux Oscars. Pour son film suivant, il dirigera Marion Cotillard dans « De Rouille et d’Os ». Jacques Audiard n’aura jamais commis un film « moindre », il a toujours écrit luimême ses scénarios, restant fidèle à ses débuts.
Aujourd’hui, avec la Palme d’Or, il entre au Panthéon du cinéma international. Désormais, il s’installe comme l’un des leaders du cinéma français. Que tournera-t-il à l’avenir ? La pression est sur ses épaules mais nul doute, qu’il fera, comme un certain Kechiche, le bon choix. Jacques grignote un peu de la gloire de son illustre père… Une gageure en soit, une réalité maintenant.
Photo : ©Dominique Maurel