Le Château de l’Anglais est sans doute l’un des édifi ces les plus originales et caractéristiques construits au XIXe siècle à Nice. Un témoignage de l’audace et de l’excentricité d’un homme : Robert Smith.
Nos voisins de la « perfide Albion » n’ont pas laissé qu’une promenade à leur nom dans la capitale azuréenne. Sur les hauteurs du Mont-Boron plane un édifice pour le moins insolite. Insolite par sa taille imposante, insolite par sa couleur rose bonbon, insolite par son architecture éclectique. C’est bien simple on le croirait tout droit sorti d’un conte des frères Grimm. Cet édifice, c’est le Château de l’Anglais. Ce nom donné par la population niçoise du XIXe siècle, il le doit à son concepteur, un colonel britannique de l’armée des Indes. Un certain Robert Smith.
Si aujourd’hui un rockeur homonyme lui a volé la vedette, l’empreinte qu’il a laissée dans le paysage niçois vaut tous les tubes musicaux du moment. Comment a-t-il pu concevoir un bâtiment de ce type ? Indiscutablement, la réponse se trouve dans l’histoire personnelle du militaire. Posté de longues années à Delhi, ce soldat du Génie travaillera sur la restauration du Fort Rouge, complexe moghole du XVIIe siècle. Une expérience qui marquera Robert Smith et qu’il gardera en tête à son retour d’Europe. Un retour qui se passe dans les meilleures conditions puisque une trentaine d’années plus tard, il rentre de son épisode oriental, devenu richissime, bien décidé à s’installer sur la Riviera française… et à laisser libre cours à son imagination.
« UN CAUCHEMAR ARCHITECTURAL »
Achetant un terrain de 22 000 m² au Mont-Boron qui domine le Cap de Nice, Robert Smith va se constituer un domaine féérique, au sens propre du terme. Il faudra 3 ans pour construire l’ensemble qui ne sera achevé qu’en 1858. Architecte, son futur château composé de tourelles de donjon, salle de musique… s’inspire de toute la vie du colonel et est une vision empirique de ce qui constitue ses références artistiques.
Par conséquent, on retrouve dans ces bâtiments, des éléments architecturaux de différentes périodes. Gothiques, néo-gothiques, classiques et surtout mogholes. Impossible de ne pas voir dans « la Folie Smith » quelques rappels au Fort Rouge. Le parc autrefois très étendu descendait jusqu’au bord de mer. L’auteur Emile Négrin avait qualifié « de cauchemar architectural » le Château de l’Anglais. Une phrase restée dans les annales. Et comment lui donner tort ? Il est vrai que pour n’importe quel professionnel du bâtiment, nous sommes en présence d’une hérésie stylistique. Mais c’est cette originalité qui donne tout son charme au Château.
LA FIN DU RÊVE
La suite de l’histoire ne ressemble pourtant pas à un happy end made in Disney. A la mort du colonel, son fils décidera de revendre l’ensemble au comte Gurowsky de Wezel. Des modifications sont apportées, de nouveaux locaux voient le jour et une partie des jardins est transformée. Mais l’ensemble demeure dans l’esprit de ce qui avait été réalisé par la famille Smith. Quelques années plus tard, c’est le drame : le choix est fait de revendre le Château de l’Anglais à des sociétés immobilières qui se divisent le magot. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est transformé en copropriété.
Le domaine diminue considérablement (on trace notamment dessus le boulevard Jean Lorrain). Le château et sa rotonde sont classés aux Monuments historiques depuis l’an 2000. « Ni fait ni à faire » aurait-on pu facilement entendre dans la bouche des Niçois à l’époque de sa construction. Mais c’est sans doute pour cela que Robert Smith l’a fait et qu’il a eu raison de le faire. Le temps lui a finalement donné raison. Menacé un temps de démolition, les riverains se sont offusqués de sa possible disparition. Pouvaiton encore imaginer le Mont-Boron sans cette touche de folie britannique ? Non, of course.
Photo : ©DR










