LE PETIT NICOIS

Villa E-1027 La modernité avant l’heure

Sur le littoral roquebrunois se cache un ensemble architectural exceptionnel du XXe siècle parmi lequel trône la villa E-1027 signé par la papesse longtemps oubliée de l’art moderne- : Eileen Gray.

Après tant d’années, voilà que, de nouveau la Villa E-1027, refait parler d’elle. En bien cette fois car elle ouvre ses portes au public jusqu’au 31 octobre. En cette année qui marque les 50 ans de la disparition de Le Corbusier c’est tout un symbole que de voir ressurgir cette villa de l’oubli. Une création que l’on doit au couple formé par Jean Bodovici et Eileen Gray. Lui est rédacteur en chef de la revue « l’Architecture vivante », elle, est designer. En 1924, ils entreprennent la construction de la maison de vacances de monsieur. Une maison à nul autre pareil.

Pour Eileen, cette demeure marque un tournant dans sa démarche artistique. Habituée au mobilier, avec la Villa E-1027 elle se lance (un peu poussée par Jean Bodovici) dans l’architecture. Il faudra plus de 3 ans au duo pour en élaborer les plans. Construite à partir de 1926, les travaux ne s’achèveront qu’en 1929. Mais le résultat est là : une villa à la fois esthétique, fonctionnelle et moderne.

UN PETIT PAQUEBOT

Très loin des critères de l’époque, la Villa E-1027 se caractérise en grande partie par son aspect nautique extérieur. Une façon de rappeler la dimension balnéaire de la maison. Cela se remarque par les couleurs employées (le blanc majoritairement), son balcon rappelant le pont d’un navire avec ses toiles et ses bâches, allusions revendiquées aux voiles d’un bateau. Visuellement, la Villa-1027 est une apologie de l’architecture moderne : des lignes épurées et simples radicalement opposées à l’art nouveau. L’emploi de pilotis pour soutenir la pièce principale de la demeure dénotes des réalisations de l’époque (mais sera plus tard repris pour la construction des villas sur mer que l’on peut trouver en Californie et en Floride).

Construite en forme de « L », la façade principale comprend une grande baie vitrée qui laisse allègrement entrer la lumière et donne une splendide vue sur la mer. En ce qui concerne les matériaux de construction une fois encore, on se trouve dans l’avant-garde avec l’utilisation massive du béton et de l’acier, matériaux qui deviendront la norme les décennies suivantes.

50 NUANCES DE GRAY

C’est évidemment à l’intérieur que l’on retrouve le plus la patte de l’artiste irlandaise. Le minimalisme est de mise ici. Certains meubles proviennent de sa galerie parisienne « Jean Désert » tandis que d’autres sont spécialement réalisés pour la villa. Cuir, verre et chrome forment le trio gagnant d’un ensemble à l’aspect épuré.

Ajoutez à cela la luminosité qui règne en permanence dans les lieux et vous aurez un domicile profondément imprégné par les valeurs motrices de la démarche artistique d’Eileen Gray : la liberté et l’indépendance. Pour ne rien gâcher, il convient de noter que les peintures murales sont réalisées par Le Corbusier à la demande de Jean Bodovici. Il en dessinera sept entre 1938 et 1939, mais deux seront abîmées pendant la Seconde Guerre mondiale.

UN ENSEMBLE UNIQUE

Quelques années plus tard, Le Corbuiser, toujours lui, viendra construire son cabanon à quelques encablures de la villa. Il fait aussi construire des unités de camping pour Thomas Rebutato, propriétaire de l’Etoile de mer, le restaurant voisin. Associés à la Villa E-1027, l’ensemble devient l’un des plus remarquables témoignages de l’architecture avant-gardiste de l’époque. Mais cette belle aventure prendra fin. Après la mort de Jean Bodovici en 1956, la Villa sera vendue à une amie de Le Corbusier.

Après la mort du dernier propriétaire privé en 1996, la maison sera squattée en 1998. La commune prend alors les choses en main et confie la villa au Conservatoire national du littoral en 2000, année ou elle est définitivement classée monument historique. Depuis septembre 2014, l’Association Cap Moderne est chargée par le Conservatoire du littoral de la gestion et de la mise en valeur du site. Le site refermera ses portes au mois de septembre pour finaliser les travaux de la villa (les jardins notamment) et devrait rouvrir ses portes en mai 2016. 

Photos : Tim Benton & Manuel Bougot

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